L’écriture inclusive, êtes-vous pour ou contre ?
- Le 10 octobre 2017
Si vous n’avez pas encore entendu parlé de l’écriture inclusive, cela ne saurait tarder. Le sujet est de plus en plus présent dans le débat public et fait polémique. Peut-être même avez-vous déjà tiqué sur le terme « défenseuse » ou « candidat.e.s» au fil de vos lectures. Bingo, vous êtes en plein cœur du sujet linguistique du moment.
Quel est-il ?
L’égalité des sexes serait mise à mal dans l’écriture du français. L’écriture inclusive permettrait d’y remédier.
Alors tout d’abord pourquoi une telle différence entre les genres existe-elle dans l’écriture ? A-t-elle toujours existé?
Quelles nouvelles règles l’écriture de type inclusif propose-t-elle d’appliquer pour mieux respecter l’égalité entre les femmes et les hommes ?
1) Un peu d’histoire :
a) Ce qui est pose problème:
Dans l’écriture du français, le masculin l’emporte sur le féminin.
Il domine dans le système des accords. Utiliser « ils » pour parler d’un groupe composé d’1 homme et de 2000 femmes est un exemple de ce qui fait débat.
Sans parler des métiers qui peinent à trouver leur nom féminin : Madame le Président, Madame le Juge etc… notamment dans les fonctions prestigieuses.
« Parce que le genre masculin est le plus noble, il prévaut seul contre deux ou plusieurs féminins, quoiqu’ils soient plus proches de leur adjectif. » Scipion Dupleix, Liberté de la langue françoise, 1651.
Il y a bien entendu des oreilles/yeux que cela froisse et d’autres qui n’y prêtent pas attention qu’elles soient féminines ou masculines.
b) Une masculinisation progressive de l’écriture de la langue française :
Alors pour mieux comprendre ce débat, il faut tout d’abord relever que le masculin ne l’a pas toujours emporté dans la langue française. La masculinisation a été progressive à partir du 17ème siècle puis s’est généralisée au 19ème siècle avec l’école primaire obligatoire.
L’usage du masculin pour définir un groupe a été adopté par « souci d’économie ». Il est en effet plus simple d’utiliser le « ils » que d’écrire dans la même phrase « des électeurs et des électrices » par exemple. Mais la principale raison est sexiste. Elle est liée à la domination masculine de l’époque.
« Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin, à cause de sa supériorité du mâle sur la femelle. » Beauzée, Grammaire générale, 1767.
Les Académiciens en sont pour beaucoup à l’origine. Le choix du « genre le plus noble » a été d’autant plus évident que les hommes formaient alors le groupe dominant qui avait (et voulait conserver) l’exclusivité de l’accès à la parole en public. Ils tenaient à éloigner les femmes de l’espace public. C’est aussi pour cela que les métiers considérés comme leur apanage n’ont pas de terme féminin. Difficile d’exister dans la société quand on n’a pas de nom pour définir sa fonction, son métier… !
Certains veulent actuellement justifier cet usage en arguant du fait que le masculin en français fait office de neutre quand les deux genres sont présents dans un groupe. C’est erroné. Le neutre n’existe pas en français.
Le travail d’Eliane Viennot sur la question, spécialiste de la littérature française de la Renaissance, est sans appel.
c) Une question d’actualité :
Ce débat sur l’égalité homme femme dans l’écriture ne date pas d’hier. La notion de neutralité est en effet un sujet qui existe depuis une vingtaine d’années. On parlait alors de « langage épicène ». L’expression « écriture inclusive » est plus récente.
Initié par les mouvements féministes dès la fin des années 70, des pays comme le Canada, la Belgique ou la Suisse travaillent à rétablir cette égalité perdue depuis une trentaine d’années. La France est encore bien en retard sur la question.
Cependant, la polémique s’y est élargie à un public bien plus large que le milieu des féministes ces dernières années.
Notamment depuis la publication en 2015 d’un guide pratique « pour une communication sans stéréotype de sexe » par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEFH).
A mesure que l’opinion publique prend conscience du bien fondé de ces revendications, l’usage de l’écriture inclusive se développe.
Voyons de plus près ce que cette dernière propose.
2) L’écriture inclusive est-elle la solution ?
a) Une définition :
Raphaël Haddad, fondateur de l’agence Mots-clés et auteur d’un manuel sur le sujet définit très bien l’écriture inclusive :
« L’ensemble d’attentions graphiques et syntaxiques permettant d’assurer une égalité des représentations entre les femmes et les hommes. »
Quels en sont les principes ?
b) Quelles en sont les règles ?
L’écriture inclusive se fonde sur trois principes :
- Tout d’abord il s’agit simplement d’accorder les titres, les noms de métiers, en fonction du genre : chercheuse, présidente, cheffe etc.
- Puis, il faut faire apparaitre les deux genres quand il s’agit de définir un groupe. Pour cela, trois techniques existent :
– la « double-flexion » c’est-à-dire écrire « les chanteuses et chanteurs « .
– le point médian, ou point milieu. Il s’agit de faire figurer dans un seul mot le genre féminin et le masculin : « Les candidat.e.s ».
– l’usage d’une formulation dite épicène à savoir : les personnalités candidates. - Le dernier principe est d’éviter l’usage de la majuscule pour femme et homme et d’utiliser par exemple droits humains et non droit de l’homme.
3) Pour ou contre l’écriture inclusive ? :
a) Les pour :
Les exemples d’utilisation de cette écriture sont de plus en plus nombreux.
Des institutions, des universités, des entreprises ou même une maison d’édition prennent désormais position.
Ainsi, en 2017 le Manuel d’histoire pour CE2 des éditions Hatier « Magellan et Galilée – Questionner le monde » est écrit en inclusif.
En 2018, le point médian apparaitra même sur nos touches de clavier dans le cadre de la réforme du clavier Azerty. Il faut cependant préciser que ceci était au départ prévu pour certaines langues régionales.
Il est parfois difficile de savoir si c’est une vraie prise de conscience de la part de ces adeptes ou juste une manière d’illustrer leur engagement envers la parité. Un peu à l’image du Greenwashing, on aurait maintenant le Femwashing !
En tous cas, à voir les réactions sur Twitter lors de la sortie du manuel scolaire, la cause n’est vraiment pas gagnée !
Un des plus virulents détracteurs de ces nouvelles règles est Raphaël Enthoven.
b) Les contre :
Le principal reproche que ce dernier fait à cette écriture est qu’elle est « une agression de la syntaxe par l’égalitarisme ».
Les détracteurs de ces nouvelles conventions lui reprochent de défigurer la langue française, de l’enlaidir, de compliquer encore plus l’apprentissage de l’écriture et du langage etc. Ce n’est pas en transformant les règles linguistiques que le changement dans les mentalités se fera. La causalité reste selon eux à démontrer.
c) Mais comment faisait-on avant ?
Avant la masculinisation de la langue française, la règle de proximité était la plupart du temps utilisée. Il s’agissait d’accorder selon le mot le plus proche évoqué. Son origine remonte à l’Antiquité. (1)
« Les femmes et les hommes sont entrés » ou « les hommes et les femmes sont entrées ».
Les autres langues romanes laissent d’ailleurs le choix des accords.
L’idée serait peut-être là ? Revenir aux usages de l’ancien français pour contenter tout le monde ?
Quoiqu’il en soit, au-delà des règles de l’écriture inclusive qui pose question, il semble évident que la langue française doit proposer des termes féminins pour tous les métiers et fonctions existantes ! A voir le dernier hommage de l’Académie à Simone Weil, il y a encore beaucoup de travail dans certain bastion où la cause du masculin l’emporte.
(1) Pour plus de détails de ces usages, le travail d’Eliane Viennot est à consulter.
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